Les marchés prédictifs

Et si on pouvait parier sur tout ?

Parier sur l'issue d'élections, sur la prochaine hausse des taux de la Fed, sur le box-office du prochain Tarantino, ou encore sur la date d'approbation d'un ETF Bitcoin : voilà ce que permettent les marchés prédictifs. Encore marginaux mais en pleine expansion, ces marchés hybrides entre plateforme de paris et marché de capitaux s'appuient sur les technologies de la blockchain pour créer des instruments financiers inédits : les contrats de pari sur des événements du monde réel.

Ces plateformes ont gagné en popularité lors de l'élection américaine, et ont fait du bruit notamment avec le gain XXL d'un parieur français ayant empoché 48 millions de dollars en pariant sur la victoire de Donald Trump. (C'était un ancien trader de hedge fund qui avait tout de même misé plus de 20 millions de dollars, après avoir commandé ses propres sondages et réalisé des analyses de données approfondies).

Si leur aspect ludique rappelle les paris sportifs, leur fonctionnement et leurs applications touchent des thèmes bien plus vastes : politique, économie, géopolitique, culture ou encore innovation technologique. Et pour certains analystes, ils pourraient même devenir des outils de veille et d’aide à la décision dans des domaines bien plus sérieux que les jeux d’argent.

Qu'est-ce qu'un marché prédictif ?

Un marché prédictif est une plateforme qui permet à ses utilisateurs de parier sur l’issue d’un événement futur en achetant des "parts" associées à un résultat donné. Ces parts sont cotées comme des actions, leurs prix variant selon les anticipations des participants. Il est même généralement possible de déboucler sa position avant la maturité du contrat, c'est à dire avant la réalisation de l'événement (ce qui est parfois possible sur les sites de pari sportif traditionnels, mais sous conditions).

Prenons un exemple simple : la question « Donald Trump sera-t-il réélu en novembre 2024 ? » (en admettant que cet événement ne soit pas encore passé). Si vous pensez que oui, vous pouvez acheter une part "OUI" à un prix donné, disons 0,45€. Si l’événement se réalise, vous recevrez 1€. Sinon, vous perdrez la mise. Le prix reflète donc la probabilité estimée du marché : ici, 45 %.

Après que vous ayez acheté votre part à 0,45€, mais toujours avant l'élection, la probabilité estimée de réussite de l'événement augmente et la cote est désormais à 0,70€. Vous avez aussi la possibilité de vendre votre position, avant même l'élection, pour empocher 0,70-0,45 = 0,25€. Vous avez alors "tradé" l'élection présidentielle américaine.

On parle aussi de "marchés de prévision" ou "marchés d'information", car ils agrègent les opinions et les connaissances des participants. Leur logique repose sur un principe simple : les prix sont informatifs. Autrement dit, la "cote" du marché est considérée comme une estimation probabiliste.

Des thèmes de paris qui vont bien au-delà du sport

Les marchés prédictifs couvrent une immense variété de sujets :

- Politique : Élections, nominations ministérielles, destitutions, traités internationaux…
- Sport : Football américain, baseball, basket, tennis, golf, football...
- Économie & finance : inflation, taux directeurs, approbation d’ETF crypto, décisions de banques centrales...
- Crypto & Web3 : dates de lancement de nouveaux protocoles, déploiement d’évolutions majeures ("hard forks"), prix atteint par des crypto-actifs sur une période...
- Divertissement : Oscars, Grammy Awards, sorties de films, box-office, leaks musicaux...
- Géopolitique : conflits armés, accords de paix, sanctions, annonces de l’ONU...
- Tech & Science : percées en IA, découverte de traitements médicaux, première mission habitée sur Mars…

Bref, tout ce qui peut faire l’objet d’un résultat observable dans le futur est potentiellement "pariable". S’ils posent de vraies questions éthiques (ex : est-il 'acceptable' de parier sur un conflit armé ou le décès d'une personnalité dans l'année ?) leur potentiel d’innovation est réel.

Comment ça fonctionne ? Entre blockchain, oracles et smart contracts

Contrairement aux bookmakers classiques, ces plateformes s’appuient sur des technologies automatisées et décentralisées. En particulier, deux technologies clés : les smart contracts et les oracles.

Les smart contracts sont des programmes informatiques autonomes sur blockchain qui gèrent les règles du pari, la prise de position, la résolution de l’issue et la distribution des gains.

Les oracles sont des fournisseurs de données qui permettent d’intégrer des informations du monde réel à la blockchain. Par exemple, un oracle peut confirmer que le vainqueur de l’élection présidentielle est bien Donald Trump. Sans oracle fiable, pas de résolution de pari possible.

L’ensemble assure une gestion transparente et immuable des paris, sans intervention humaine ni possibilité de tricherie (en théorie).

Les risques : ne pas confondre information, finance et jeu de hasard

Malgré leur habillage technique, les marchés prédictifs sont exposés à plusieurs risques :

- Risque réglementaire : Dans de nombreux pays, ces plateformes flirtent avec les lois sur les jeux d’argent et les dérivés non autorisés. Certaines d'entre elles ont été interdites dans plusieurs pays, et la France (où il est théoriquement interdit de parier sur des événements non-sportifs) envisage de les bannir également.

- Fiabilité des oracles : Une mauvaise source d’information ou un oracle corrompu peut fausser les résultats. Certains oracles, comme UMA (utilisée par plusieurs plateformes dont le leader Polymarket), permettent à la communauté de contester un résultat pendant une période après la réalisation de l'événement.

- Liquidité et Manipulation : Une grande partie des événements/marchés sont peu liquides (avec parfois quelques milliers ou dizaines de milliers de dollars à peine pariés sur une événement). Sur des marchés peu liquides, il est possible de faire varier les prix et donc la "probabilité perçue".

- Addiction & gamification : Comme tout système de pari, le caractère ludique peut entraîner des comportements irrationnels et pousser des participants à prendre position sans connaissance adéquate des sujets. Et comme pour les paris sportifs, ils y a beaucoup de perdants. D’après layerhub , sur Polymarket moins de 15 % des portefeuilles sont gagnants.

Les principales plateformes

Parmi les plateformes les plus connues, on peut citer Polymarket, qui est la plateforme leader, alimentée par la blockchain Polygon. Les thèmes sont variés, les marchés relativement liquides et les interfaces très accessibles.

Kalshi est aussi une grande plateforme régulée par la CFTC aux États-Unis. Cible un public plus institutionnel, avec des contrats proches des futures financiers.

Des marchés predictifs sont aussi disponibles sur les plateformes suivantes, certains étant initialement des exchanges crypto : dYdX, LogX Network, Predict.fun, Drift, Limitless exchange, Divvy.bet, OverTimeMarkets, PredictIt (en pause).

Attention : cet article n'est pas une incitation à utiliser ces plateformes !

Une utilité au-delà du jeu : agréger la sagesse des foules

Pourtant, au-delà de leur aspect ludique, les marchés prédictifs suscitent un intérêt croissant dans les sphères académiques et institutionnelles. Bien sûr, l'aspect qui attire mon attention, bien plus que l'aspect "gambling", ce sont les potentielles applications financières.

Des études montrent que ces marchés peuvent fournir des prévisions souvent plus fiables que les sondages ou les experts. Pourquoi ? Parce que les participants mettent leur argent là où est leur conviction. C’est l’idée de la "sagesse des foules". Certains envisagent même de les utiliser comme des outils statistiques pour tester des hypothèses scientifiques de façon collective ou mesurer des probabilités liés à des événements en tout genre, incluant des crises politiques, économiques.

Pour aller plus loin que l'information, il y a évidemment la spéculation, dont des experts ou acteurs avec de l'information de meilleurs qualités pourraient bénéficier (comme le trader français ayant profité de l'élection de Trump), ou permettrait de rémunérer des opérateurs de marchés qui prendraient des risques pour les autres...

Ce qui amène directement à envisager l'utilisation de ces marchés à des fins de couverture (hedging). En effet, grâce à ces marchés il devient possible de couvrir directement des risques ultra-spécifiques (dans une limite de liquidité). Par exemple, une entreprise pourrait se couvrir des risques liés à un événement politique ou climatique en prenant une position directement exposée à cet événement.

Exemple : Une entreprise qui anticipe qu'elle risque de perdre 50 millions de dollars lors de l'élection d'un candidat avec une politique défavorable, pourrait parier sur ce candidat. Ainsi, s'il est élu, elle va perdre de l'argent à cause de sa politique, mais en gagner grâce au pari, ce qui compense tout ou partie de la perte.

Enfin, les marchés prédictifs déroutent parce qu’ils se trouvent à la frontière de plusieurs univers : finance, technologie, jeu, politique, science sociale. Et au-delà de l'outil de jeu, j'espère que vous avez pu, par cet article, percevoir le potentiel de l'outil financier.

Sources (liste non-exhaustive) :

Journal du Coin : Marchés prédictifs : guide des plateformes 2024
Polymarket 
Le Figaro : La France enquête sur Polymarket, plateforme sur laquelle un Français a gagné 50 millions de dollars après avoir parié sur Trump, Par Steve Tenré
UMA

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